Le pontet

Il enjambe ce que cette carte appelle le ruisseau de l’étang, mais qui est plus généralement connu comme le fossé du Roy, et ce bien avant 1775 puisque l’appellation figure dans l’hommage rendu en 1649 par Simon Gaillard (voir L’Isle). L’ouvrage actuel n’est pas non plus le premier : au milieu du XVIe siècle déjà, un autre « pontet » servait à délimiter les terres de Jean de Puyrigaud. L’appellation de « fossé » trahit toutefois l’origine artificielle du cours d’eau qui, comme son autre nom l’indique, reliait l’Antenne à l’étang du Solençon, aménagé sous le « bon comte Jean » (1444-1467) :

« Le grand Parc et le petit Parc furent clos de murs (…) ; la vallée resserrée entre le grand parc et les hauteurs de Boutiers, fermée par une forte chaussée, forma le vaste et magnifique étang du Solançon. Comme cet étang qui recevait toutes les eaux pluviales, venant soit de la forêt de Jarnac, soit d’une partie du pays-bas, avait submergé les terres voisines placées à un niveau inférieur, le comte s’empressa d’indemniser les propriétaires. » (F. Marvaud, Études historiques sur la ville de Cognac, p. 182-184).

Les travaux du parc furent poursuivis sous Charles d’Orléans, son fils (ibid. pages 208-209) mais, après la mort de celui-ci (1496), la comtesse Louise de Savoie eut à revenir sur l’indemnisation, apparemment insuffisante… ou oubliée. Il se confirme alors que Jean d’Angoulême n’avait fait qu’agrandir un étang préexistant en construisant une chaussée, munie d’une bonde, à son débouché sur la Charente :
« Cédant aux supplications des habitants de la paroisse de Cherves qui, depuis l’agrandissement de l’étang du Solançon, ne savaient où faire paître leurs bestiaux, elle leur concéda le droit de pacage sur les deux rives de cet étang [Titres de la maison d’Ecoyeux]. » (ibid., page 221).

De même, le fossé du Roy fut vraisemblablement creusé en tirant parti de deux ruisseaux existants – un affluent de l’Antenne et un ruisseau alimentant l’étang, que Gabriel Maître (Cherves, qui es-tu ?, s.d., p. 5) dénomme Baradis. Le fossé permettait donc de drainer vers l’étang toute cette partie du pays bas et, accessoirement, peut-être aussi d’alimenter ce même étang grâce à une dénivellation qui doit approcher les 4 m sur l’ensemble de son cours. Quitte à ce que ce cours s’inverse parfois : voir un article de Wikipédia. Mais Gabriel Maître (ibidem) soutenait qu’il s’agissait d’un « canal à deux pentes ». La régulation aurait alors pu se faire dans les deux sens…

Ce travail se fit vraisemblablement sous François Ier, comme le suggère le nom de fossé « du Roy » : on se préoccupa beaucoup à cette époque de lutter contre la lymosie (Marvaud, pages 244, 267), ne serait-ce que pour « passer le bagaige et train du Roy » (le mot lymosie, écrit l’historien, « par allusion au sol fangeux et gras du Limousin, indique ici un sol détrempé facilement par les eaux et d’un parcours difficile » : le Limousin, décidément, a eu mauvaise presse à toutes les époques !)
« L’administration communale, au moins pour ce qui concernait la voirie, ne s’exerçait pas seulement à l’intérieur de la ville, ou à des distances très-rapprochées des murs de l’enceinte : elle veillait plus loin aux intérêts publics… On ne travaillait donc pas seulement aux chemins à l’entrée de la ville, on les améliorait partout où le besoin l’exigeait… » (ibid., page 267).

Selon P. Lacroix (Chroniques de l’Angoumois occidental, 1876, page 124), l’étang aurait été desséché après 1833. Sur cette carte de 1857 ( ?) en tout cas, il a disparu. N’en subsiste que le fossé prolongé vers le sud, qui sépare Cherves de Boutiers et Nercillac.
Pourquoi, en 1775, a-t-on éprouvé le besoin de reconstruire le pont ? On se bornera à noter qu’il s’agit à Mesnac d’un âge d’or de la construction, qui doit coïncider avec une période faste en agriculture – marquée sans doute par la pleine activité des métairies et le développement de la vigne – exigeant une voirie « tous temps ». On remarquera ainsi que ce pont est assis sur un radier, probablement moins destiné à éviter les affouillements qu’à combattre les risques d’affaissement.
Si les services du patrimoine ignorent les vieux ponts de Mesnac, la communauté de communes s’en est préoccupée et les a restaurés en 2006. Resterait peut-être à les signaler : les seuls panneaux, actuellement, sont ceux qui mettent en garde contre les dos-d’âne…

 

Avant les travaux

Le pont de François Premier

Ce pont (interdépartemental, puisque reliant la Charente à la Charente-Maritime après avoir relié la Saintonge à l’Angoumois) n’était certainement pas non plus le premier – sans pont, pas de route ! –, mais il est probable que le passage du Véron était jadis beaucoup plus difficile qu’on ne peut l’imaginer maintenant. Il en reste d’ailleurs une « montée » assez abrupte, qui peut expliquer qu’on ait choisi ce qui est aujourd’hui un ruisseau qu’on remarque à peine, pour en faire la frontière de deux provinces. D’ailleurs, saint Louis, après avoir détruit le château d’Auceure (du Seure), buta sur un marais alors qu’il cherchait à rejoindre Saintes : mon hypothèse, que je ne donne certes pas pour sûre à 100 %, est que ce marais était soit celui du Véron, soit celui du pont de Saint-Sulpice. L’itinéraire logique consistait en effet à emprunter le chemin de Matha à Cognac jusqu’à Cherves pour suivre ensuite la voie d’Agrippa.

Sous François Ier, on s’est donc préoccupé d’améliorer la voirie. Marvaud (op. cit., pages 244-245) cite les lettres-patentes que le roi délivra en 1521 : il autorisait à prendre pendant dix ans 300 livres sur les tailles de chaque année afin d’améliorer les accès à Cognac « pour la lymosie du païs, où ladite ville est assise, semblablement pour les montueulx rochers qui sont à l’entour très-difficiles et pénibles, sy ne sont pavez, aplaniz et entretenuz de pontz et chaussées… Ces choses considérées qui, de tout nostre honneur et affection desirons de servir ladicte ville de Coingnac, en laquelle avons prins nostre origine et naissance, estre enrichie et augmentée, et lesdits pontz, portes et murailles, ensemble les chemins et passaiges estans à l’environ, à ce que mieulx et plus aisément on y puisse aller… ». Le pont du Véron, il est vrai, ne porte que la date de 1544 mais ce n’aurait pas été la première ni la dernière fois que de grands travaux auraient pris du retard, ni que des prélèvements auraient été prorogés ! Il se peut aussi que la route de Matha soit passée en dernier. En effet, Marvaud cite (pages 265-268) toute une série de travaux exécutés à cette époque sans la mentionner : chemin de Javrezac vers Saintes, route de Saint-Jean d’Angély près de la Chapelle de Burie, pont et chaussée de Saint-Sulpice, chemin « longeant la muraille du grand parc, conduisant à Cherves par Fontenille », « bac des Chassiers… où aboutissait l’ancien chemin dit des Anglais, venant d’Angoulême », chemin romain de Merpins (le chemin Boisné), chemin de Bordeaux entre Cognac et le lieu nommé Landelle (1531), pont de Soubérac (1533)… Mais la construction d’un (nouveau) pont sur le Véron s’inscrit à l’évidence dans une entreprise systématique et il n’est donc pas surprenant qu’elle ait donné naissance à la légende la liant à une mésaventure du roi « Grand-Nez » (cf. ci-après).

avant restauration
pendant
… et après, mais avant suppression des bornes qui devaient faire obstacle au passage de gros engins agricoles

La légende : il était inévitable, compte tenu de la date inscrite sur le pont, qu’on cherche à en attribuer la construction à François Ier. On pourra lire (cliquer sur la couverture) la version de cette légende publiée en 1890 par un fonctionnaire de l’Instruction publique, Anatole André (voir « Les Mesnacois »). Ce n’est certes pas un grand patoisant, mais tout compte fait, il ne s’en tire pas si mal.

Il note la mouillure plutôt que la palatalisation, écrivant par exemple « tiellés » là où l’on écrit habituellement « thiellés ». Il ignore le plus souvent l’aspiration dans le pronom « jhe », quitte à écrire tout de même « jholiment », « boune ghent », « jholie » et « jhénesse » – mais, aussitôt après, « juste ». Sa conjugaison est plus correcte, et l’on relève des formes comme « seus » (suis), « érai » (irai), « veuris » (voudrais), « fasez » (faites), « nessut » (né)… Pour « où », il emploie systématiquement « onte » au lieu de « voure », ce qui pourrait, selon Raymond Doussinet, trahir une origine jarnacaise. Quant au vocabulaire, la couleur locale se limite à une dizaine de mots : abrenocio bien sûr (mais au lieu d’ab’rnoncio), ève (« eau »), aneut (« aujourd’hui »), seguer (« suivre »), le douteux enchoufrigné (« renfrogné », « enchifrené » ?), marmuser (« murmurer », « marmotter »), insolenter, yèvre (« lièvre »), ébouiller (« écraser »), ébeurnaquer (« réduire en bouillie ») et mon favori mistut, qu’il traduit par « âne » mais qui est plus probablement le baudet (cf. le dictionnaire de poitevin de Lévrier), un « métis » ou mixtum

La présence de l’histoire tend à se réduire à l’évocation du roi « Grand-Nez » et de ses amours ; pour le reste, le sieur André n’est pas trop regardant : François Ier monte encore vingt ans après le cheval qu’il avait à Pavie et la dernière image du livre est celle du meunier partant, faraud, « le fusil sur l’épaule » ! En fait, l’auteur s’est borné à greffer une intrigue amoureuse et une préoccupation de voirie (les deux passablement contemporaines : l’état des chemins et le choix du gendre comptaient encore beaucoup pour les petits propriétaires du XIXe !) sur une anecdote que reprend F. Marvaud dans ses Chroniques de l’Angoumois occidental (pages 42-43) : celle du charbonnier qui a fait manger du sanglier à François Ier, un jour que celui-ci s’était égaré au cours d’une partie de chasse « aux environs de Cognac, peut-être bien dans la forêt de Chizé » ( ?!). Montluc (Commentaires, livre VII) fait allusion à cette historiette comme origine de l’expression « Charbonnier est maître chez soi » et voici comment elle est rapportée dans le Dictionnaire des portraits historiques, anecdotes et traits remarquables des hommes illustres, II, 1768, de Lacombe de Prézel :

« François Ier s’étant égaré à la chasse, entra vers les neuf heures du soir dans la cabane d’un charbonnier ; le mari étoit absent : le Roi ne trouva que la femme accroupie auprès du feu ; c’étoit en hyver et il avoit plu. Il demanda une retraite pour la nuit et à souper. L’un et l’autre lui furent accordés ; mais à l’égard du souper, il fallut attendre le retour du mari ; et en attendant, le Roi se chauffa assis sur une mauvaise chaise, qui étoit la seule qu’il y eût dans la maison. Vers les dix heures arrive le charbonnier, las de son travail, fort affamé et tout mouillé ; le compliment d’entrée ne fut pas long ; la femme exposa la chose à son mari et tout fut dit. Mais à peine le charbonnier eut-il salué son hôte, et secoué son chapeau tout trempé, que prenant la place la plus commode, et le siège que le Roi occupoit, il lui dit : Monsieur, je prends votre place, parce que c’est celle où je me mets toujours, et cette chaise, parce qu’elle est à moi ; or, et par droit et par raison, chacun est maître en sa maison.
François applaudit au proverbe, et se plaça ailleurs sur une sellette de bois. On soupa, on régla les affaires du royaume, on se plaignit des impôts. Le charbonnier voulait qu’on les supprimât ; François eut de la peine à lui faire entendre raison. À la bonne heure donc, dit le charbonnier, mais ces défenses rigoureuses pour la chasse, les approuvez-vous aussi ? Je vous crois honnête homme, et je pense que vous ne me perdrez pas : j’ai là un morceau de sanglier qui en vaut bien un autre ; mangeons-le, mais surtout bouche close… François promit tout, mangea avec appétit, se coucha sur des feuilles et dormit bien. Le lendemain, il se fit connoitre, paya son hôte et lui permit la chasse. »

Cependant, n’en déplaise à M. André, si le charbonnier est remplacé par un meunier dénommé Michaud, c’est qu’il y a eu contamination avec la légende populaire d’Henri IV, autre Vert Galant. Collé avait donné en 1764 une comédie, intitulée La partie de chasse de Henri IV, où l’on voyait Michaud recueillir ce roi égaré dans la forêt de Sénart et la scène a été maintes fois représentée : par Menjaud, par Vincent, par Moreau le Jeune…
Collé s’était lui-même inspiré de Sedaine, dont la pièce Le Roi et le Fermier (1762) était à son tour « inspirée du théâtre anglais, ou plutôt d’une ancienne histoire qui n’a guère pour elle que la tradition » et qui concernait Henri VI, semble-t-il. Il s’agissait de la pièce The King and the Miller of  Mansfield (1736), de Richard Dodsley, qui avait été traduite par Patu en 1756. Si l’on fait abstraction des intrigues amoureuses et de la dénonciation des courtisans amateurs de jolies paysannes, le thème commun consiste à faire entendre au roi incognito les vérités du peuple, – vérités qui, chez Collé, tendaient d’ailleurs à se réduire à l’amour du souverain. Le meunier d’A. André est beaucoup moins respectueux (un bon siècle et une révolution ont passé), puisqu’il va jusqu’au crime de lèse-majesté, mais le motif de la chasse s’inverse : cette fois, le chasseur est le manant – avec tous les problèmes que cela peut poser !
Revanche de Dodsley ? Les précédents propriétaires anglais du moulin de Chazotte ont traduit, adapté et joué en 2007 « Une aventure de François Ier ».

À noter qu’il existe une autre version de l’histoire, celle du Seure : là, le roi est sauvé de la noyade par les prières d’une ancienne maîtresse, devenue religieuse au Maine voisin (où la légende veut qu’il y ait eu un couvent).