1. « L’Antenne infinie dans ses rameaux » (mémoire de la dame de Vaujompe, 1763)

Mesnac comprend, sous la forme d’une demi-amande très allongée ou d’un arc, une petite partie de la vallée de l’Antenne, là où la rivière alentie par la faiblesse de sa pente se ramifie – les géographes parlent de « chevelu ». Ce « marais » commence quand le canal qui fait la limite avec Saint-Sulpice se sépare de la rivière de Chazotte, et il finit quand les deux cours d’eau se conjoignent à nouveau, un peu en aval du moulin de Chazotte, du nom du château tout proche converti en métairie au XVIIe siècle. S’y ajoute la basse vallée du Véron, frontière entre Mesnac et Le Seure. Comme celle de gauche ci-dessous, la plupart des cartes ne figurent au mieux que ces trois cours d’eau, ignorant les nombreux sous-sous-affluents qui divisent ce marais. Elles y ajoutent seulement le fossé du Roy, créé sous le « bon comte Jean », au xve siècle, par raccordement de deux ruisseaux, l’un affluent de l’Antenne de Chazotte, l’autre de la Charente, de sorte que son cours pût s’inverser pour soulager l’une ou l’autre rivière (voir l’article de Wikipedia). Comme on le verra plus loin, le Véron et le fossé du Roy étaient à l’origine des affluents de la rivière de Chazotte. Maintenant, tous deux passent sous celle-ci par un « coué » (prononciation saintongeaise du vieux mot « coi », conduite, aqueduc) pour rejoindre le canal. Voir deux articles de Sud-Ouest, sur les aqueducs de la rivière de Chazotte et sur ses « fantaisies ».

Le fait que les autres ruisseaux (« ris ») ou fossés soient ignorés témoigne de leur délaissement – on en a laissé beaucoup s’envaser – et cela a pu contribuer aux inondations périodiques. Nous essaierons ici d’en retrouver certains, mentionnés dans divers actes du XVIIIe siècle. La carte de droite (d’après une carte accessible par le site de l’EFTB ou par Info-Terre, mais dont l’interprétation n’est pas toujours facile) donne une idée de ce réseau, y compris de ce qui en subsiste à l’état de traces. La partie nord concorde globalement avec les données du cadastre, mais la partie sud ajoute à celui-ci de nombreux tracés, coïncidant parfois avec des limites de parcelles (du pré des Ânes notamment).

Pour l’essentiel, ce marais est aujourd’hui, au sein d’une zone Natura 2000, une peupleraie, mais, dans mon enfance, la pêche y était largement pratiquée, et la limite avec le braconnage souvent franchie. D’où toute une flottille de « bateaux » (ou « batiâs », barques à fond plat, comme dans le Marais Poitevin), grâce auxquels on pouvait aller « tendre » le soir des « bourgnons » qu’on relevait le lendemain emplis d’anguilles.

Le bourgnon était une nasse de vannerie, de forme effilée. On appâtait en y faufilant une mince tige d’osier
sur laquelle était embroché, ô horreur !, « in’ âchet » (un lombric).
Le bouchon, perforé, était recouvert d’un grillage à la maille
.

Il y avait aussi les « bourgnes », en fil de fer, pour le reste du fretin, comme les brochets ; des « balances » pour les écrevisses (grises alors), quand on ne les attrapait pas à la main ; des carafes pour les « veurdons » ou les « goueyes » (vairons et goujons)… Mais je crois bien avoir également entendu, à la veillée, des histoires de pêche nocturne au tramail, voire au phosphore, et de cache-cache avec les gardes-pêche, parfois victimes de mauvais tours.

Pour l’état de l’Antenne et de son peuplement en 2003, voir ici.

La vie, à l’Isle ou en bas de l’église, était aussi scandée par les « dérivées », les inondations comme il vient encore de s’en produire une (début novembre 2019). Et par quelques suicides : dénommée d’après le fils d’un entrepreneur de la commune qui l’avait peut-être étrennée, la fosse à Manane, située naguère à quelques mètres en aval du pont du canal, était connue des désespérés des environs, dont on retrouvait ensuite le cadavre au moulin de Préziers.

Autre attraction, moins lugubre : le « poupion Beurnard » (peuplier Bernard), qui survivait tant bien que mal dans les années soixante et que La Croix du 3 janvier 1933 évoquait en ces termes : « Dans la commune de Mesnac (Charente), existe, assure la Gazette du village, un peuplier de 25 mètres de haut, dont le tour, à un mètre du sol, mesure 9 mètres. Il est en excellent état et fait l’orgueil des habitants qui en font le but de leurs promenades dominicales. » Je ne suis pas sûr toutefois que la situation de cet arbre dans le pré Bernard, à quelques mètres du canal, ait été bien propice à de telles processions…

2. Les travaux de drainage sous le Second Empire

Au milieu du XIXe siècle, le marais a subi des travaux de drainage qui, si l’on en croit un article (vraisemblablement de la plume du curé Ollier de Saint-Sulpice) du journal interparoissial Autour de Cognac, de 1910-1911, répondaient à des nécessités d’assainissement depuis longtemps constatées – d’autant que la défiance à l’égard des eaux stagnantes conduisait à assimiler une forme de paludisme à la peste :

On verra qu’il n’y eut à proprement parler qu’un canal, en tout cas pour Mesnac… Mais, selon l’abbé Cousin, tout ne se déroula pas aussi sereinement, surtout quand vint le temps de solder la « douloureuse » :

Les travaux étaient donc achevés en 1858, mais le contentieux n’a probablement pas été apuré avant 1868, date à laquelle le Conseil d’État décréta légales les taxes instituées en faveur du syndicat de l’Antenne.

Une comparaison entre le cadastre napoléonien (de 1822) et le cadastre récent fait avant tout apparaître la canalisation de ce qui s’appelait auparavant le ris Martin. La rectification de son cours a laissé ou coupé des boucles :

Si la rivière de Chazotte paraît intouchée, il semble que le Véron ait été prolongé jusqu’aux premières maisons de Mesnac pour le « brancher » (par un coué) sur un affluent du ris Martin qui devait être la Gravelle telle qu’elle apparaissait sur la carte de 1763 jointe au mémoire de la dame de Vaujompe.

Ces travaux ont d’ailleurs pu être réalisés après 1858, peut-être au moment où a été ouverte la route joignant le Seure – en 1900, semble-t-il, après le déplacement du cimetière (vers 1890) et la construction du lavoir (souscription en 1886).

En revanche, la route de Coulonge, traversant l’Isle, date bien de 1857. Mesnac était donc dans un cul-de-sac jusque dans les années 1850. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait aucune communication avec les villages situés de l’autre côté du marais. Simplement on recourait au bateau, qu’il s’agisse d’aller « fréquenter » ou de se rendre au bal du Seure. Cependant, selon ma mère, on ne parlait pas tout à fait le même patois dans les trois villages : à Mesnac, « moi » se disait « meu » ; au Seure, « mé » et à Coulonge « mouô »…

On ne voit pas pourquoi il n’y aurait pas eu dès 1857 un pont franchissant le canal, mais j’ai entendu dire qu’il avait été reconstruit avant la seconde guerre mondiale : achevé juste à temps pour que les Allemands y passent, il aurait été « inauguré » par la mort d’un motocycliste de la Wehrmacht, qui s’y serait engagé trop vite et aurait fini en vol plané dans les arbres.

On notera aussi le comblement au moins partiel de fossés autour de l’Isle, notamment pour frayer un passage le long de la rivière de Chazotte. Mais le cadastre n’a peut-être pas enregistré d’autres changements intervenus dans des zones moins accessibles – ne serait-ce que l’assèchement ou le comblement, total ou partiel, de cours d’eau figurés par des lignes discontinues sur la deuxième carte de cette page.

En sus de la rectification du ris Martin, on notera surtout dans cette partie sud, la connexion du fossé du Roy avec le canal, via le ruisseau enserrant le bois Pommier, dont le tracé aurait été alors infléchi.

3. Le temps des vergnées

Au XVIIIe siècle, les anguilles étaient bien sûr présentes, comme en témoigne la mention d’anguillards annexés aux moulins de Chazotte et de Coulonges. En 1646 déjà, le meunier Besson du premier était tenu « de fournir de tesure (filets) pour ses pesches, et pour les enguilles de feurne [réservoir à poisson creusé en dehors de l’écluse, à l’orifice de la vanne] quy se prandront ausdictz moullins, ledict seigneur en aura le nombre de demy cent et la moictyé au reste », cependant que Josias Chesnel lui délaissait « deux batteaux pour le service desdictz moullins et paische ». La carte de 1763 dont on reproduit ci-dessous un détail (décalqué) accompagnait d’ailleurs un mémoire dans lequel la dame de Vaujompe défendait ses droits de pêche contre les empiètements des d’Orvilliers.

Mais cette même carte montre que les peupliers ont pris la place de prés et de « vergnées », autrement dit des aulnaies.

L’inventaire des terres de Château-Chesnel de 1780 (voir Les Métairies) est muet sur la plupart des parcelles situées au nord de la Gravelle. Cela se comprend s’agissant de celles qui appartenaient au clergé, en particulier du pré de la Cure qui devait relever du prieur de Mesnac – de l’église Saint-Pierre dont le ris qui longe cette parcelle tire sans doute son nom. Quant aux terres du Seure et de Fontdouce, il s’agissait peut-être du Grand Bois et du pré Bernard qui, en 1824, seront détenus très majoritairement, le premier par des habitants du Seure, le second par des habitants de Saint-Sulpice.

Est cependant mentionné un bois qui, touchant au Véron à l’ouest, ne peut être que le bois Monsieur. Toutefois, celui-ci ne fait plus aujourd’hui que les deux tiers des 14 journaux indiqués, soit 3,2 ha au lieu de 4,8 environ. Mais il en faisait encore 4,5 en 1824. Il faut supposer qu’il débordait sur l’un des deux grands ensembles limitrophes, les Plantes ou, plus vraisemblablement compte tenu de sa dénomination ici, les Grenussons.

Figurent aussi dans la liste deux petites « levades » (talus servant de chaussées ou de digues ? ou bien « levées de terre situées dans des endroits marécageux, ou du moins humides, complantées en arbres d’essences diverses » selon G. Millardet, in Revue des langues romanes de 1921, p. 128 ?), probablement comprises comme le jardin de la Borderie juste au nord du logis de l’Isle, dans les actuels « jardins de l’Isle » à moins que ce ne soit dans le Pré haut. Apparaît ici un premier ris maintenant oublié, le ris des Roseaux :

Plus au sud, on trouve d’abord la Gravelle et l’Euliaud, ou, plus exactement, d’ouest en est, la Gravelle et le Gravellon, puis l’Œilleau (parfois au pluriel) – des vergnées, puis des prés, selon une disposition qui se perpétuera jusqu’au moulin de Chazotte.

Ces quatre journaux (moins de 1,4 ha) entrent aisément dans la Gravelle actuelle (1,7 ha, ce qui laisse un peu de place pour la vergnée du sieur Gabeloteau). Le ris de la Met, limite de la seigneurie de l’Isle, aurait donc partagé ce terrain par moitié. La Gravelle est, comme on l’a vu, le ris absorbé par le Véron. Le ris de la Fenêtre est beaucoup plus difficile à situer : était-ce le nom d’une portion du ris Martin ou celui d’un ruisseau tout proche de celui-ci (et parallèle à lui), ou encore un de ses bras ? Une fenêtre était une trouée dans les arbres, que l’on barrait d’un filet pour prendre les oiseaux. Sur la carte de 1763 reproduite plus haut, elle est mentionnée avec le ris de la Gravelle…

L’Euliaud actuel mesure environ 3,5 ha, soit quelque 10 journaux. L’ensemble des prés qui suivent en couvraient 11 « ou environ ». Le nom, qui fut même orthographié « Leulio » en 1824, est une déformation de l’Œilleau, probable dérivé d’« œil » au sens de trou d’eau – en 1826, une « pièce d’eau » de 4 ares y est mentionnée (à côté d’une maison !). On pourrait aussi penser à une mauvaise lecture d’un dérivé d’oisit, « osier », car on trouve « Oseilleaux » dans un document de 1728. Quant au ris de l’Œilleau qui traverse cette prairie du nord au sud, on le retrouve plus bas, à la hauteur du pré des Ânes et pour prolonger le fossé du Roy jusqu’au canal, on en a apparemment utilisé un tronçon, quitte à avoir deux angles droits. Le pluriel « aux ris de l’Œilleau » est probablement une des nombreuses fautes d’accord que présente le document, mais il se peut aussi que ce ris ait été dédoublé comme le suggère la carte n° 2.

Suivent au sud quelque 23 journaux de vergnées (environ 8 ha), mais les parcelles au bord de la rivière de Chazotte sont encore en pré (environ 15 journaux, soit un peu plus de 5 ha, dont la moitié en pré-marais entre le pré des Ânes et la rivière). Dans le cadastre actuel, la vergnée de l’Œilleau (3 ha) a absorbé les parsonnières (i.e. communes aux deux seigneuries de Mesnac et Chazotte) et d’autres, jusqu’à la vergnée du Moulin / du Pavillon exclue. Il ne s’agit toutefois que des vergnées dépendant de Château-Chesnel ; les trois ou quatre hectares restants, et la plus grande partie du bois Pommier, comblant l’espace entre elles et le ris Martin, appartenaient à des « particuliers » :

Le ris de l’Œilleau se prolongeait donc jusqu’au pré des Ânes. Le ris Sablon était peut-être le ris enserrant le bois Pommier, dont la partie sud a été utilisée pour continuer le fossé du Roy jusqu’au canal. Quant au ris de la Borderie (assez éloignée de celle-ci, voir Les Métairies), ce pourrait être une des boucles subsistant au sud de la Gravelle.

Hormis une petite vergnée, ce sont uniquement des prés qui s’étendent entre les vergnées précédentes et la rivière de Chazotte. On notera l’orthographe du « pré Rong », qui n’a jamais été rond sans doute – et qui était moins étendu qu’aujourd’hui. Quant au pré des Ânes, dont le nom indique qu’à une époque il a dû être réservé aux auxiliaires du meunier, il était partagé entre le moulin et la métairie Noire.

On a essayé ci-dessous de situer les ris cités dans cet inventaire :

Il faut ajouter, longeant la rivière, la chaussée entre le pont de l’Isle et le moulin de Chazotte, prolongée au sud jusqu’au pont Galland « ou la vergnée des David ».