« La terre de Mesnac appartenait, au XVe siècle, à Geoffroi de Beaumanoir, qui en rendit hommage, le 18 septembre 1452, au comte d’Angoulême. Elle relevait du château de Cognac et était tenue “au devoir d’un barbottin d’or à mutation de seigneur”. François de Beaumanoir, issu du mariage de Geoffroi et d’une dame dont le nom est ignoré, rendit à son tour hommage pour la terre de Mesnac, le 20 octobre 1479. De divers titres et documents conservés aux Archives nationales, il résulte que les Beaumanoir ont possédé Mesnac jusqu’en 1490, et qu’à cette date cette terre fut achetée par Jean de Puyrigault, seigneur de Chazotte... » (P. Lacroix, Histoire de l’Angoumois occidental, page 116).
C’est à cette notice que se résume à ce jour l’histoire la plus ancienne de la seigneurie de Mesnac. L’exploration du fonds Frétard par Pierre Collenot a révélé un premier aveu de François, datant de 1469 – ce qui impliquerait que Geoffroy fût mort à cette date. Mais on va découvrir que les Beaumanoir ont tenu ce fief plus tôt que ne le suggère Lacroix, et qu’ils y succédaient à un autre Breton au moins, qui détenait également Cherves en 1429.
Réglons d’abord la question du barbottin. P. Martin-Civat a pensé qu’il s’agissait d’un petit poisson d’or – un « barbillon », aurait dit La Fontaine. Après tout, le barbeau pouvait être une des ressources de l’Antenne mais, en général, ce droit de mutation, s’il n’était pas acquitté en numéraire, l’était plutôt sous la forme d’objets utilitaires, éventuellement en or ou dorés – lance, éperon, touret… –, quand ce n’était pas sous celle d’un oiseau de chasse ou d’un cheval. Surtout, d’assez nombreux dénombrements de Saintonge et d’Aunis (Thérac, Sainte-Lheurine, Criteuil, Sainte-Soule, etc.) font état de droits de mutation (muance) d’un « marbotin d’or ». L’identité des contextes suggère donc une erreur de lecture ou de transcription, liée à une méconnaissance du terme, d’ailleurs avérée dès le XVe siècle : Nicot, par exemple, cite le mot « marbotin » dans son Thrésor de la langue française (1606), mais en ignore le sens – il le sait seulement propre « aux chartes rochelaises ». Dans de telles occurrences, le mieux est de se reporter au Glossaire de Du Cange. On y découvrira que le marabotin, marbotin ou marmotin est un avatar du maravédis, monnaie des Arabes Almoravides reprise par les rois espagnols et portugais, et qui subsista outre Pyrénées jusqu’au XVIIIe siècle, servant en outre de monnaie de compte dans les colonies du Pérou – elle faillit devenir devise internationale ! Le maravédis (sous le nom de maurabotinus, marbotinus), monnaie d’or, eut même cours en France sous Philippe Auguste – il pesait 84 grains et Pierre Larousse s’est fait fort d’en apprécier la valeur en francs de son temps : 14 fr. 675729 ! « Il est probable que c’est en se répandant [des provinces des Pyrénées] vers le centre de la France que ces maravédis d’or prirent le nom de marabotins, espèces qui circulèrent au commencement du XIIIe siècle pour 13 livres 6 sols de notre monnaie », écrit-il. Cependant, dans les aveux de notre région, il était parfois précisé que le marbotin était « apprécié » à vingt ou trente, voire soixante sols.
Reste la question principale : qui étaient ces Beaumanoir ? Le même P. Martin-Civat a bien sûr songé immédiatement à la fameuse famille bretonne, en supposant qu’un de ses membres serait venu dans les fourgons de Marguerite de Rohan (1412-1497), épouse du « bon comte Jean » d’Angoulême, « prince de Cognac » – celui-ci était rentré en 1445 d’Angleterre après y être resté otage trente-trois ans durant, et le mariage avait eu lieu en 1449. Si l’on s’en tient à l’hommage de 1452, l’hypothèse pourrait être retenue, mais nous allons voir que Geoffroy détenait alors Mesnac depuis plus de vingt ans.
Si les Beaumanoir sont célèbres, ils le doivent surtout à Jean III, maréchal de Bretagne, compagnon de Du Guesclin et, en 1351, héros du Combat des Trente rapporté par Froissart – l’épisode a été « naturalisé » français probablement aussi parce que ses protagonistes étaient des Bretons alliés de la France contre les Anglais ! Mais comme il a disparu depuis longtemps, je pense, de nos livres d’histoire, rappelons ce haut fait à l’aide de la notice figurant dans la Biographie universelle de Michaud [On trouvera en ligne des récits légèrement différents mais plus détaillés et vivants : sur les sites InfoBretagne ; Istor ha Breiz, etc.] :
— BEAUMANOIR (JEAN de), chevalier breton, ami et compagnon d’armes du célèbre Duguesclin, embrassa le parti de Charles de Blois, époux de Jeanne de Penthièvre, contre son compétiteur Jean de Montfort, dans la guerre civile qui désola la Bretagne au 14e siècle. La fortune sembla d’abord sourire à Charles ; les Anglais, qui protégeaient Montfort, furent chassés de plusieurs places importantes, et Beaumanoir leur enleva de vive force la ville de Vannes. Chargé de la défense de Josselin, il gémissait de voir la garnison anglaise de Ploërmel parcourir les campagnes et aggraver, par le brigandage et le meurtre, les maux inséparables de la guerre. Au moyen d’un sauf-conduit, il alla trouver le commandant, sir Brembro, et lui reprocha de faire mauvaise guerre ; l’Anglais répondit vivement ; la querelle s’échauffa. Le résultat de l’entrevue fut qu’un combat de trente contre trente aurait lieu le 27 mars suivant (1351), entre Ploërmel et Josselin, au chêne de mi-voie. Chaque parti fut exact au rendez-vous. Une foule de spectateurs, curieux d’assister à ce sanglant tournoi, s’étaient portés sur le champ de bataille. Au moment d’en venir aux mains, Brembro parut hésiter. Ce combat, livré sans l’autorisation des souverains respectifs, était, disait-il, irrégulier. Beaumanoir répondit qu’il était trop tard pour rompre une partie si bien liée, pour perdre une si belle occasion de prouver qui avait plus belle amie. L’action s’engagea. Les Anglais obtinrent d’abord quelque avantage ; mais Brembro ayant été tué, les Bretons firent de nouveaux efforts et remportèrent une victoire complète. On rapporte que, vers la fin de la mêlée, Beaumanoir, blessé et dévoré d’une soif ardente, demandait à boire. « Bois de ton sang, s’écrie un de ses chevaliers, la soif se passera. » Ce combat ne pouvait influer sur le sort de la Bretagne, qui ne fut fixé qu’en 1364. Les armées étaient en présence, sous les murs d’Auray. Beaumanoir fit d’infructueuses tentatives auprès du fameux Chandos, général en chef de l’armée ennemie, pour entamer des négociations. Il en coûtait à son âme généreuse de voir ses compatriotes armés les uns contre les autres. Ses démarches avaient encore un autre objet : il était prisonnier sur parole ! Chandos lui fit obtenir du comte de Montfort la permission de combattre, mais comme simple chevalier, et sans pouvoir accepter aucun commandement. La victoire était encore indécise, lorsque la mort de Charles de Blois entraîna la défaite de son année. Beaumanoir fut du nombre des prisonniers, ainsi que Duguesclin, auprès duquel il avait combattu avec sa valeur ordinaire. On le vit plus tard aider son illustre compatriote à payer sa rançon. Beaumanoir resta fidèle au parti qu’il avait embrassé. Le Poitou, l’Angoumois et la Saintonge furent successivement le cadre de ses exploits. Dans sa longue carrière, illustrée par des ambassades importantes, des commandements difficiles, il se fit toujours remarquer par sa loyauté et son courage ; mais son premier titre de gloire est d’avoir été le chef des Bretons à la bataille des Trente. (…) Pendant longtemps, en Angleterre, en Bretagne, dans toute la France, on disait, pour exprimer qu’une action avait été terrible : « Jamais on ne combattit plus vaillamment après la “bataille des trente” ».
Cela étant, les Beaumanoir de Mesnac viennent bien après. Jean III avait été un personnage puissant, mais ses deux fils ne laissèrent aucune descendance légitime : Jean IV, marié à Tiphaine, une nièce de Du Guesclin, fut assassiné en 1385 par un métayer dont il avait séduit la fille, sur l’instigation d’un Tournemine qui aurait eu, lui, des vues sur Tiphaine du Guesclin. C’est du moins ce que crut son frère Robert, qui défit le Tournemine en un duel judiciaire, prouvant ainsi la justesse de son accusation. Lorsqu’il mourut à son tour, sans femme ni enfant, en 1408, le château de Beaumanoir en Évran passa alors à leur demi-sœur Jeanne et à son mari Charles de Dinan, seigneur de Châteaubriand et baron de Montafilant, puis, successivement, à trois ou quatre de leurs fils, avant d’échoir à la fille du cinquième, le bouteiller de France Jacques de Dinan – celui qui aurait été le beau-frère de Jean d’Angoulême s’il n’était mort quand ce dernier se maria.
À l’époque où les Beaumanoir arrivèrent à Mesnac, le nom – mais non, on l’a vu, le château – était le bien de trois autres branches, issues de frères de Jean III :
– celle du Bois-de-la-Motte, « paroisse de Trigavou [à une vingtaine de km au nord du château de Beaumanoir], fief érigé en bannière en 1433 par Jean V, duc de Bretagne, pour Jean de Beaumanoir, son chambellan » ;
– celle du Besso, « paroisse de Saint-André des Eaux [tout près d’Évran, donc encore plus loin de Trémorel], fief tenu en qualité de vicomte, par mariage, en 1390 [date douteuse], d’Etienne (Thiennette) du Besso et de Robert de Beaumanoir » ;
– celle de Lavardin, dans le Maine, qui compta un maréchal de France, nommé en 1595 : Jean III de Beaumanoir, marquis de Lavardin (1551-1614), proche compagnon d’Henri IV.
Voyons cela sur un arbre généalogique simplifié :

Sources : H. Frottier de la Messelière : « Document pour l’histoire de la paroisse d’Evran », Bulletin de la Société d’Emulation des Côtes du Nord, XLVI, pages 5-12 (1908) ; Père Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs…, (1726-33), tome VII, pages 379-390 ; Christian Martin, Beaumanoir, huit siècles d’histoire d’une baronnie, Cercle culturel Rance-Linon, 2002 ; Augustin Dupaz, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, 1619, p. 97-114.

Le blason des Beaumanoir :
onze billettes d’argent sur fond d’azur
La famille Beaumanoir-Lambilly de Trémorel
Le hic est que, dans cette généalogie, on ne trouve ni le Geoffroy ni le François qui nous intéressent. Des recherches sur Internet permettent toutefois de découvrir leur trace :
On sait par l’inventaire des papiers des Chesnel (fonds Frétard, AD17) que Geoffroy de Beaumanoir fut seigneur de Mesnac avant 1469, date à laquelle son fils François rendit un premier hommage à la comtesse d’Angoulême :
« plus une expédition en parchemin du dénombrement de la même terre et seigneurie de Ménac rendue à Madame la comtesse d’Angoulesme par M. François de Beaumanoir le 18 juin 1469, signé Richard
plus une copie informe et sans signature du dénombrement fourni par François de Beaumanoir écuyer seigneur de Ménac fils de fut [feu] messire Goffroy de Beaumanoir de sa terre et seigneurie de Ménac à Monseigneur le Comte d’Angoulesme à cause de son château de Cognac, du 20 octobre 1479 »
Or, en 1480, une liste des feudataires des évêchés de Saint-Malo et Dol (site InfoBretagne) fait état, à Trémorel (Côtes-d’Armor actuelles) d’un « François de Beaumanoir de Menac », absent lors de ce recensement. Il était titulaire d’un revenu de cent livres, ce qui n’était pas si négligeable : cela valait obligation de se présenter, en cas de convocation du ban, armé en archer, vêtu d’une brigantine, avec un coutilleur (soit 2 chevaux).
L’indication fournie par InfoBretagne, est assortie d’une autre : un Geoffroy de Beaumanoir possédait en 1390, dans la même paroisse, les manoirs de Giffart et du Petit-Val. On est ainsi amené à supposer l’existence d’un rameau des Beaumanoir, établi à proximité de Merdrignac et de La Hardouinaye, possessions de la branche aînée depuis le mariage de Jean Ier avec Jeanne de Merdrignac (vers 1294). Ce rameau sortait-il d’un frère de Jean III ? Même si beaucoup d’incertitudes s’attachent à ce niveau de la généalogie, la date de 1390 ne nous oblige pas à remonter aussi haut et nous verrons qu’il y a d’autres hypothèses.
D’autre part, pour Trémorel, la liste de 1480 comporte deux noms : l’autre est celui de « Catherine de Lambilly (30 livres) » – également défaillante. Or l’Armorial général de d’Hozier (registre VII, page 70-72) nous apprend que celle-ci, dame de La Motte en Louhétel, fille de Jean Ier de Lambilly, grand chambellan et premier gentilhomme de la chambre du duc de Bretagne Jean V, et d’Olive de la Soraye, avait épousé un Geoffroy de Beaumanoir en 1442 et en avait eu un fils, « François de Beaumanoir, sgr de Ménéac », cité avec elle en 1483…
Les Beaumanoir successeurs à Mesnac des Châteaubriant
Visiblement, on a confondu Mesnac avec le Ménéac proche de Trémorel. Mais Anatole de Barthélemy (« Généalogie de la maison de Dinan », in Mélanges historiques et archéologiques sur la Bretagne, tome III, Didron, 1858, pages 1-51) mentionne, pages 47-48, une pièce (Archives de Penthièvre, Lamb., boîte 56, liasse 159 ou 139) qui dissipe la confusion tout en faisant remonter d’une bonne vingtaine d’années l’intervention des Bretons à Mesnac… et à Cherves par la même occasion !
Selon ce document, succédant en 1429 à son frère Robert, Bertrand de Dinan, maréchal de Bretagne, aurait donné « à son cousin Geoffroy de Beaumanoir “yssu dudit lieu de Beaumanoir” : 1° Deux maisons sises auprès du “Champt de Dinan” ; 2° Les terres qu’il avait en Pleurtuit et Saint-Enogat, à cause de Plancoët ; 3° Quarante livres sur l’acquit de Loire “audit sire appartenant, à cause de sa terre et seigneurie de Champtoceaux” ; 4° Les terres de Cherues et de Menat, situées en Saintonge, dans la châtellenie de Cognac. » Barthélemy suppose que ce Geoffroy était le “Monsr de Beaumanoir” qui veillait en 1415, pour Bertrand, à la fortification de son château du Guildo.
Bertrand de Dinan, maréchal des Huguetières, était le quatrième fils de Charles de Dinan-Montafilant, baron de Châteaubriant, et de Jeanne de Beaumanoir. Démembrement de la seigneurie de Retz, la châtellenie des Huguetières, que son père lui attribua en 1410, regroupait 18 paroisses autour du lac de Grandlieu ; ses registres ont été conservés en nombre, si bien que sa gestion sert à illustrer l’économie seigneuriale au XVe siècle : Fastes et malheurs de la Bretagne ducale 1213-1532, pages 219-226 – chapitre dû à Jean-Pierre Leguay (Ed. Ouest-France, 1997). Bertrand fut fait maréchal de Bretagne en 1418 ; lieutenant et capitaine général de l’Anjou et du Maine (1425), gouverneur de la ville et du château de Nantes (1436), il était avec son frère Jacques à Patay. Il se maria deux fois : en 1409 ou 1419 avec Marie de Surgères, fille de Jacques, seigneur de la Flocellière, et de Marie de Vivonne ( ?) ; en 1434 avec Jeanne d’Harcourt, fille du comte d’Harcourt et d’Aumale et de Marie de Valois. Mais il mourut en 1444 sans descendance – légitime en tout cas. Voir l’histoire des barons de Châteaubriant.
Geoffroy n’a donc pas été le premier seigneur breton de Mesnac. Mais Bertrand non plus. Il semble en effet que cette seigneurie provenait du troisième fils de Charles de Dinan, Robert, seigneur de Chateaubriant, si l’on se fie à Bétencourt (Noms féodaux…, 1826, page 361) : « Bertrand de Dinan, Sire de Chât.Brient et de Beaumanoir, T. s. de Candé et de Channeaux ; il recon. aussi que Géofroi de Beaumanoir, son parent, lui donne un herbergement et dép. situé à Dinan, et qu’il lui cède en outre les terres, cens et obéissances qu’il a hérités de Joubert, Sire de Chât. Brient, en Saintonge ; 1431, 1441. (r. 336, p. 160 ; R. 337, p. 66 ; r. 340, p. 54 ; r. 341, p. 136, 160 ; r. 1404, p. 223) » Donateur et donataire ont manifestement été inversés et le nom « Robert » a été mal lu, mais il ne fait aucun doute que l’on peut remonter, pour Mesnac et Cherves, à Robert de Dinan, mort le 13 mars 1430 mais qui s’était fait religieux en 1428 et avait sans doute organisé sa succession à ce moment.
Robert et Bertrand étaient connus sous le nom de seigneurs de Châteaubriant ; or, certains dénombrements rendus par les Puyrigault (en 1441 mais aussi, sans date, sous François Ier) mentionnent parmi les terres mitoyennes des leurs celles du seigneur de Châteaubriant. Le nom n’apparaissant nulle part dans les annales régionales, il s’agit vraisemblablement des deux frères de Dinan-Montafilant. Qu’il en soit fait état alors qu’ils avaient déjà cédé Mesnac et Cherves n’est pas une objection : il n’est pas rare que les dénombrements, souvent d’ailleurs recopiés des précédents, mentionnent des propriétaires décédés depuis longtemps.
Reste à savoir comment ces deux « terres » étaient échues à Robert de Dinan. Notre hypothèse est qu’il faut remonter à une sorte de scandale politique, séquelle de la Guerre de succession de 1341-1364, et qui frappa les esprits bien au-delà des frontières de Bretagne : l’enlèvement, en février 1420, puis la séquestration du duc Jean V. Les coupables ? La famille de Penthièvre, qui n’avait pas renoncé à enlever le duché aux Montfort, et plus particulièrement la bru de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre, Marguerite de Clisson, assistée de ses fils : le comte de Penthièvre Olivier de Blois, Jean de l’Aigle, Guillaume et Charles d’Avaugour. Avant d’être libéré en juillet grâce à la vigoureuse contre-offensive organisée par la duchesse, Jean V avait été détenu en plusieurs lieux, notamment à Saint-Jean d’Angély après être passé par Thors, fief de la femme de Charles d’Avaugour, Isabeau de Vivonne. Robert de Dinan fut l’un des chefs de l’armée punitive chargée de poursuivre les Penthièvre jusque dans leurs possessions du Poitou, certainement assisté par ses deux frères qui avaient été faits prisonniers avec le duc (Alexandre Couffon de Kerdellech, Recherches sur la chevalerie du duché de Bretagne, vol. 1, Nantes, 1877, page 347). On sait qu’il en fut récompensé par des biens confisqués en Bretagne, mais Isabeau de Vivonne continuait de résister en novembre 1424, faisant de son château de Thors un nid de félonie, un piège à Bretons de passage, ainsi que le dénonçait Jean V :
« Et depuis et encores de present, comme pertinace et perseverante en son faulx, mauvays et dampnable propous, soit demourante depuis la mort dud. Charles son mary, en un chastel nommé Tors, ouquel elle se tient et a grant nombre de gens d’armes et de traict de diverses nacions, partie desquelx furent a nous prandre et se remonstrerent noz ennemis, rebelles et desobeissans ; et mesmes recepté, recueilli, recepte et recueille de jour en autre noz ennemis et ceulx de nostred. frère, leur donne conseil, port, faveur et aide,en faisant guerre à nos subgiz passans par le païs de Poitou et de Xantonge, les faisant prandre à prisonniers et detenir de leurs personnes, en exigeant rençons d’eulx, les pille et desrobe, fait pillier et desrober, voulens en disposer et ordenner… » (Lettres et mandements de Jean V, page 134).
Mesnac et Cherves, compte tenu de leur situation, permettaient de prendre Thors à revers et l’on peut supposer que Dunois, qui administrait le comté d’Angoulême pour son demi-frère Jean, otage en Angleterre, avait cédé ces deux petites seigneuries au représentant du duc. Cela expliquerait aussi l’abandon par Geoffroy de Cherves, qu’on retrouve en possession de Pierre du Parage dès 1445 : la voie de Thors vers le sud passait d’abord par Mesnac, dont la possession assurait un contrôle suffisant. Il est d’ailleurs symptomatique que, lorsque François de Beaumanoir abandonna à son tour Mesnac, pour une raison inconnue, après 1483, ce fut le procureur de la fille d’Isabeau, Antoine Aubert, seigneur de Bardon en Courcerac (et du Seure depuis 1486), qui prit sa succession : il en était seigneur en 1487, selon Jean-Paul Gaillard (Châteaux, logis et demeures anciennes de la Charente, librairie Bruno Sepulchre, 2005, p. 470).
Geoffroy de Beaumanoir, « compagnon de Jeanne d’Arc » et bâtard un peu rude ?
Selon une généalogie des Lambilly, Geoffroy était vivant en 1455, mais il était décédé en 1461 (Inventaire des archives de la Loire-Inférieure, II, page 3). On sait aussi qu’il fut l’un des quelques « gentilshommes du voisinage » à accompagner le corps du malheureux Gilles de Bretagne jusqu’à l’abbaye de Boquen, après qu’accusé de trahison par son frère le duc François Ier, celui-ci eut été assassiné en 1450, au château de la Hardouinaye – tout à côté de Trémorel (Anatole de Barthélemy, op. cit., p. 14). Ce geste peut s’expliquer par la fidélité de Geoffroy à la famille de Dinan, Gilles étant l’époux de Françoise, nièce et héritière de Bertrand des Huguetières. D’Hozier nous apprend aussi que son beau frère Jean de Lambilly tenait de lui, en 1477 encore, un « harnois à armer » : c’était donc un soldat.
Or un Geoffroy « bâtard de Beaumanoir » figure dans la liste des « compagnons de Jeanne d’Arc » dressée par Jean-Claude Colrat. Il a notamment participé au siège d’Orléans et à la bataille de Patay, en 1428-1429, aux côtés de Bertrand et de Jacques de Dinan, sous les ordres du connétable de Richemont et de Gilles de Rais. On le signala encore, au service du duc, au siège de Pouancé en 1432 ; au service du roi, et avec Poton de Xaintrailles et Boussac, au siège de Montereau en 1437 (il commandait 50 hommes d’armes et 94 archers ; voir aussi Monstrelet). Entre-temps, en 1435, le roi l’avait remplacé en raison de ses exactions à Château-du-Loir, qu’il avait charge de tenir et, comme d’autres « écorcheurs », il le cantonna en 1440 – en l’espèce à La Gravelle (Mayenne, voir B. Chevalier, « Pouvoir royal et pouvoir urbain à Tours pendant la guerre de Cent ans » (2e article), Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, année 1974, volume 81, n°81-4, p. 700), mais pendant la Praguerie (1440-1441) le bâtard passa à Airvault (Poitou, actuelles Deux-Sèvres) et jusque dans le Nivernais (voir A. Tuetey, Les écorcheurs sous Charles VII, Mémoires de la société d’émulation de Montbéliard, 2e série, 7e volume, 1873 à 1874, document CII, page 462). En 1453, il fut des Bretons qui firent le « voyage de Guyenne » (Dom Lobineau, Histoire de Bretagne, tome II, 1707, page 1188) où il combattit sous les ordres de Gaston de Foix ou de Lautrec (Henri Courteault, Gaston IV, comte de Foix, Toulouse, 1895, p. 159). La dernière mention de lui que nous ayons trouvée figure dans les Mémoires pour servir de preuves… : en décembre 1457, il obtint l’affranchissement (de redevances) d’une maison sise à Dinan – l’une de celles données par Bertrand de Dinan en même temps que Cherves et Mesnac ?
Peut-on identifier le « féroce bâtard de Beaumanoir » au Geoffroy de Mesnac sur de plus solides fondements que cet indice incertain ? Le fait que l’époux de Catherine de Lambilly se rattache presque certainement, en raison de ses possessions, à la branche aînée des Beaumanoir sans toutefois en recueillir l’héritage, mais en restant proche des Dinan-Châteaubriant qui, eux, héritèrent, trouverait là l’explication la plus logique. Même la première attestation de son existence, en 1390, milite en faveur de cette hypothèse : qu’il ait été doté de Giffart et du Petit-Val à sa naissance ou un peu plus tard, cela permet de lui attribuer pour père Jean IV de Beaumanoir († en 1385) ou son frère Robert († en 1408). D’autre part, sa carrière de capitaine de routiers, qui l’a certainement enrichi, a pu lui autoriser un mariage, certes tardif mais plutôt au-dessus de sa position originelle ; les pièces collectées par D’Hozier le montrent versant cent écus d’or à une tante de sa femme, dans le cadre d’une transaction familiale, et on sait par ailleurs qu’il agrandit notablement son domaine de Trémorel (“Danamorin que posseda Mre Geffroy de Beaumanoir et joignit le dit Geffroy audit lieu du Plessix ez Geffard jusqu’à 20 journaux de terre acquis de gens contribuables”, 1513, in Poudouvre-overblog).
On pourrait objecter l’âge auquel il serait parvenu lors de ses derniers faits d’armes – une soixantaine bien sonnée –, mais, après tout, le connétable de Richemont et Poton de Xaintrailles, qui participèrent aussi à la campagne de Guyenne, étaient ses presque exacts contemporains.